Les trompettes de la mort

Au début des années 80 les satires décrivant la fin de toutes les illusions des utopies des idéologies et l'avènement d'un système basé sur le consumérisme, l'ultra communication et le sophisme politique et intellectuel étaient perçus, comme un regard passéiste, déprimé voire scandaleux. Il fallait être heureux, moderne, informé et informatisé. L'art devenait conceptuel, la musique répétitive, la publicité un mode d'expression branché, Tilly s'inscrit parfaitement dans ce genre qu'Arthur Adamov intitulait pour se défaire du théâtre de l'absurde, le théâtre de société.

Aujourd'hui en lisant les textes de Tilly et particulièrement " les trompettes de la mort " on est frappé par l'actualité du propos, la déshérence des protagonistes. Annick, Henriette et Jean-François illustrent parfaitement un adage qu'on pourrait appliquer à la société d'aujourd'hui " adaptes toi ou crèves ". Ma mise en scène consistera avant tout à respecter les voeux de l'auteur en définissant de manière précise le langage corporel de chacun, leur évolution dans l'espace scénique, le rythme de la locution, les silences, les regards qui s'esquivent ou se croisent inopinément.

L'antagonisme entre les personnages est clair. L'attitude d'Henriette vis à vis d'Annick m'évoque une réflexion d'Antonio Gramsci dans la pièce " Le partisan " que j'ai mis en scène au théâtre national Gérard Philipe de st-Denis en 2005, dans un échange avec sa belle-soeur Tania " Tu me fais l'effet de quelqu'un qui assiste à une noyade et qui, au lieu de tirer de l'eau la personne en danger, s'inquiète d'abord d'aller lui acheter une nouvelle garde-robe et même de lui trouver un autre métier où il ne court pas le risque de tomber à l'eau. Et pendant ce temps, l'autre se noie... ".

Et oui Annick se noie incapable de crier son désarroi, plongée dans cette solitude profonde elle sombre avec mélancolie. Quant à Jean-François on assiste là au cas typique du prototype égocentré s'interdisant de porter un regard sensible sur qui que ce soit à part lui-même. Les non-dits sont lourds de sens et chacun pourra en mesurer les conséquences. Je pense que le théâtre, par la voie des émotions, voire des sensations, doit en interrogeant les consciences, permettre à chacun de façonner son histoire.