Ce quatuor, comme semble l'indiquer le titre, n'est en réalité qu'un duo de deux personnages qui n'en sont peut-être qu'un et qui en jouent d'autres par un mécanisme de miroirs introspectifs dans un espace-temps chaotique.

Il s'appellent Merteuil et Valmont... Ils évoquent, bien-sûr, les héros des " liaisons dangereuses " de Choderlos de Laclos mais ce serait une erreur de ne voir dans Quartett qu'une adaptation moderne de ce roman du XVIIIème siècle.

Heiner Müller établit dans nombre de ses oeuvres ce qu'il appelle un "dialogue avec les morts", il se souvient, il interroge, il provoque, il ramène le passé dans le présent, il mêle son expérience de vie et à celles des personnages/mythes qu'il leur emprunte. Ceux-là sont vieillissants, décadents, désabusés, usés mais ils sont fiers. Ils gardent la tête droite malgré leurs rhumatismes, le verbe haut malgré le taux d'alcool imbibé. Ils marmonnent, ressassent, râlent, rugissent, pour scruter, disséquer l'intime, pour se dire, se chercher, se révolter. Ils se lancent des défis à eux-mêmes, affinent leur pensée, fomentent des projets imaginaires ou passés, ils jouent, prennent la place l'un de l'autre, d'autres, homme ou femme, réinventent des situations, des dialogues, les mènent jusqu'à l'insupportable, pour mieux comprendre, encore, toujours, le sexe, le pouvoir, la mort.

Il ne s'agit pas, comme dans " Les liaisons... ", de l'affrontement sans pitié de deux aristocrates pervers et cruels mais plutôt de la complicité quasi fusionnelle de deux êtres intelligents, cultivés, riches, lucides, impitoyables et sans illusion sur la nature des hommes. Leur mode de vie, leur philosophie de vie est une vision contemporaine, post psychanalytique, post féministe et poétique du libertinage.