Feriez-vous confiance à un tel homme ? Amoral, cynique, égoïste !... Le mythe, apparu en Espagne à l' époque du baroque, a traversé le temps auréolé d'une réputation sulfureuse allant du mépris à la fascination. Il se moque de Donna Anna, bafoue Elvira, se joue de la naïveté (mais est-elle vraiment naïve ?) de Zerline avec "l'inconsciente" complicité de Leporello.

Tel est ce libertin : Don Giovanni, Don Juan ! Tellement "exemplaire" qu'il est entré dans le dictionnaire des noms communs, alors que le personnage, vous l'avouerez, est pourtant hors du commun ! Charmeur, séducteur, charismatique, irrésistible, il pénètre jusqu'à l'âme de ses victimes laissant à chacune une cicatrice indélébile.

Quel metteur en scène ne serait séduit par une tel personnage ? Et diriger un artiste das un rôle si complexe est une jubilation ! Un régal !

Guider une interprétation, susciter une invention, exacerber la sensibilité, partager une émotion, un doute, une interrogation, s'attarder sur un geste, un regard, une juste mobilité corporelle, tel est, ajouté à la pensée esthétique, le travail passionnant du metteur en scène dont la direction d'acteurs nécessite ici, plus que jamais, exigence et rigueur.

La dévotion de Leporello pour son maître est-elle sans faille ? En cédant au désir de Don Giovanni, Zerline ne voit-elle pas là aussi une belle occasion de s'élever au dessus de sa condition ? Elvire, séduite et abandonnée, trouvera-t-elle dans le silence et le recueillement la mince consolation de n'avoir pas été l'élue ? Et Donna Anna épousera-t-elle vraiment dans un an son Don Ottavio ?

Car même si tout au final chantent : "qui fait le mal finit mal" afin de mieux exorciser leur mal être, on devine que, détruits par le séducteur, le souvenir de Don Giovanni hantera leurs pensées à tout jamais.

Une scénographie élégante et subtile, volontairement épurée, épouse ici l'immensité du lieu ! Ainsi l'action peut commencer !... Bernard Pisani