À sauts et à gambades

L'ensemble des peintures et dessins présenté à l'occasion de cette troisième exposition personnelle d'Emmanuelle Renard à la galerie Polad-Hardouin s'articule à partir de cette grande peinture, Après la pluie, 2013 ; deuxième version et déclinaison de son remake libre de L'escarpolette de Fragonard réalisé au sein de la série Héroïque fantaisie, 2012.

D'un remake l'autre, le format s'allonge et le ciel s'éclaircit, la lumière est blanche et douce, on pourrait voir deux temps : l'hiver contre l'automne. L'automne, nécrophage, entasse tout type de corps rendant l'espace clos et l'air suffocant alors que l'hiver, calme et figé, est le seuil du recommencement, accueil de la lumière et du printemps. Les versions s'opposent et se succèdent doucement. L'escarpolette, cette fois, flotte — hors des lois physiques dans un équilibre momentané. Dans cette dernière version, l'expression de la jeune femme est relâchée, altruiste et souriante. Atmosphère qui prélude les oeuvres présentées.

Pour cette nouvelle série, les compositions s'allègent et se contrastent.
Les toiles sont laissées brutes sur une grande partie de leur surface, les paysages deviennent aériens. Les vivants sont suspendus en dehors du temps et de l'espace comme lorsque Emmanuelle Renard crée ses oeuvres. Ses personnages s'affranchissent des contingences du monde et se projettent dans des environnements qu'ils génèrent et dominent.

Emmanuelle Renard travaille la perte de repères et choisit d'exprimer la part aveugle, cette "(...) obscurité liante où s'indique (...) le fond de l'expérience et, en définitive, du monde et de cet univers de sens à travers lequel nous le percevons."1.

Déranger l'ordre cosmique pour faire du monde un terrain de jeu. Elle travaille à même le sol de l'atelier, développant simultanément un ensemble de peintures et de dessins, passant de l'un à l'autre, d'un dessin automatique un autre, d'un dessin une peinture, sans hiérarchie. Elle construit par étapes, en allers retours constants, multipliant les pistes et les résonances entre les compositions.
Par là, elle utilise toutes sortes de process qui la sortent du connu comme avec l'exercice du remake ou le travail simultané sur un ensemble d'oeuvres : ensemble de peintures, de dessins, qu'elle prend comme des cadavres exquis solitaires.
À l'envers, en désordre, elle revient sur l'un, passe à l'autre; " à sauts et à gambades ". Emmanuelle Renard s'affranchit des obstacles pour s'en faire des tremplins, projections visionnaires où se mêlent fantasmes et souvenirs.

L'artiste crée des distorsions avec la juxtaposition d'éléments hétéroclites qui cohabitent joyeusement. Les masques de super-héros côtoient des costumes médiévaux (collerettes, cheval-jupons). Les éléments circassiens supportés par des chimères surplombent les paysages urbains, déracinent les personnages solitaires, tractent et déroutent les automobiles. Les échelles se bouleversent, les villes s'éloignent et les Hommes prennent toute leur importance dans une poésie festive.
Avec des vides et des pleins marqués, les costumes denses et opaques, chargés de peinture, semblent encore matérialiser la pesanteur alors que les membres et les visages se posent dans un paysage cosmique.

Emmanuelle Renard se défait des habitudes par sagesse ; elle nous livre une superbe exposition qui partage ses dernières dérives dans ce que la corporéité à de plus fermé et d'insondable. Citons Montaigne avec qui elle partage ce goût pour le voyage: Je m'égare, mais plutôt par licence que par mégarde. 2

1. Jean-Luc Lannoy, Langage, perception, mouvement: Blanchot et Merleau-Ponty, Éditions Jérôme Millon, Grenoble, 2008. 2 Montaigne, Essais, (III, 9) "De la vanité", 1580.

La galerie participe à Art Paris Art Fair au Grand Palais du 26 au 29 mars - stand C 19, en proposant des oeuvres de :
- Emmanuelle Renard simultanément à son exposition à la galerie en compagnie de : Sabhan Adam, Timothy Archer, Daniel Flammer et avec l'aimable complicité d'Elizabeth Garouste pour le design.