Borges - L'Immortel

L'histoire de l'homme, autrefois tribun romain, qui parcourut le monde à la recherche du fleuve dont les eaux donnent l'immortalité, le trouva, et y but... par le maître argentin de la littérature fantastique

Mes épreuves commencèrent en un jardin de Thèbes, je ne dormi pas de toute la nuit car quelque chose combattait dans mon coeur, je me levais un peu avant l'aube, mes esclaves dormaient, la lune avait la même couleur que le sable infini, un cavalier exténué et sanglant venait de l'Orient. À quelques pas de moi il glissa de son cheval, et d'une faible voix insatiable me demanda, en latin, quel était le nom du fleuve qui baignait les murs de la ville. Je lui répondis qu'il s'agissait du fleuve Egypte, que les pluies alimentent. C'est un autre fleuve que je cherche, me répliqua-t-il tristement, le fleuve secret qui purifie les hommes de la mort. Un sang noir coulait de sa poitrine. Il me dit que sa patrie était une montagne située de l'autre coté du Gange, et qu'il y courrait le bruit que si quelqu'un allait jusqu'à l'extrême occident, où se termine le monde, il arriverait au fleuve dont les eaux donnent l'immortalité. Il ajouta que sur la rive opposée s'élevait la cité des Immortels, riche en bastions, en amphithéâtres et en temples. Il mourut avant l'aurore, mais je décidais de découvrir la ville et son fleuve...

Une flèche crétoise me déchira. J'errais de longs jours sans trouver d'eau, ou un seul jour immense, multiplié par le soleil, la soif et la crainte de la soif. J'abandonnais la direction aux caprice de ma monture. Insupportablement je rêvais d'un labyrinthe net et exigu avec, au centre, une amphore que mes yeux voyaient, mais les détours étaient si compliqués et si déroutant que je savais que je mourrai avant de l'atteindre...

Nous accueillons facilement la réalité, peut-être parce que nous soupçonnons que rien n'est réel.