En 1968, lorsqu'il compose Stimmung, Karlheinz Stockhausen n'est pas au Quartier Latin ou à Berlin Ouest, parmi les étudiants révoltés. Il se trouve à près de 6 000 kilomètres de là, à Long Island, dans une maison isolée par la neige. Pourtant, l'oeuvre qu'il esquisse en contemplant la mer gelée battue par les vents est tout aussi révolutionnaire. Plus que le climat inhospitalier du Connecticut, elle évoque le Mexique, que le compositeur vient de visiter, ses temples vertigineux et ses dieux inaccessibles. Leur nom est d'ailleurs régulièrement invoqué dans la partition, qui a peut-être également tiré du chaos mexicain sa dimension libertaire.

Écrit pour un choeur mixte de six chanteurs, cet entrelacement de psalmodies vocales est en effet une oeuvre ouverte. C'est par exemple aux musiciens de juger du moment où ils ont atteint le sommet d'une section puis de décider d'en entamer une autre. Stimmung requiert donc des interprètes d'une sensibilité rare.
C'est le cas avec les Neue Vocalsolisten, de pénétrants solistes qui chantent ensemble depuis deux décennies et connaissent parfaitement ce répertoire. Grâce à eux, sur le site de l'abbaye cistercienne de Vaulerent, ce chef-d'oeuvre traverse l'histoire sans rien perdre de son potentiel de subversion poétique.