La première fois que j'ai vu un documentaire en couleurs sur les camps de concentration, je suis allée me cacher au fond de mon lit, ne voyant pas de place pour moi dans un monde où des hommes en traitaient d'autres pire que des bêtes.

Chanter les poètes m'aide à vivre, pas à rendre supportable l'insupportable, juste continuer à vivre. J'ai pensé que ce qui me soutient peut aussi aider ceux qui écoutent. Les spectateurs du cabaret Essaïon, venus parfois à reculons, par amitié ou par devoir sont ressortis apaisés par les larmes partagées dans cette mémoire plus vivante qu'un cours d'histoire.

Que peuvent quelques gouttes de piano, noires, blanches et puis grises grises comme les fumées qui là-bas dispersaient les cendres de ceux qui " étaient vingt et cent ", de ceux qui étaient des milliers ?

Que peuvent ces poèmes qui disent l'impossible, qui veulent nous faire toucher l'innomé, l'innommable, et qui sont toujours à des années lumières de ceux qui n'ont pas vu les coeurs flancher, les villes brûler, les corps tomber ?

Que peuvent ces chants écrits dans l'horreur où passent des oiseaux muets, fatigués où Dieu est si loin des abandonnés, des honnis du Livre et où seule la neige qui recouvre les guenilles, le sang, et les charniers, seule la neige est blanche ?

Que peuvent ces mots, ces pauvres mots, ces mots si simples, si beaux, ces mots qui décrivent l'appel, les gourdins, les rires des gardes, la puanteur les sacrifices et les silences, les cris étouffés, les pestilences ?

Ils peuvent beaucoup, ces poèmes, ces chants, ces notes et ces mots.
Ils parlent de toi, ils parlent de moi, ils parlent d'hier, d'aujourd'hui, de demain.
Ecoutez-les, servis par la voix douce et rauque de Lucienne Deschamps.
Ecoutez-les et vous serez en alerte, présents au monde, debout.

FG Bussac