Parce qu'il est magicien, Carl Craig a fait passer la techno d'un monde à l'autre, de la discothèque à la création noble. Dans son sillage, Urban Tribe -Detroit, toujours- préfère le mystère à la lumière

Inviter Carl Craig s'est imposé comme une évidence. Et les motifs d'invitation sont nombreux. Par exemple, ce mois d'octobre coïncide avec les vingt ans du label Planet E qu'il a créé. L'anniversaire qui a la forme d'un petit tour d'Europe en quatre dates - le " 69 Live " - a une allure d'exclusivité.
C'est en outre une opportunité unique d'assister à un set certifié 69 de bout en bout, soit le pseudo sous lequel le créateur techno de Detroit a sorti 4 Jazz Funk Classics (1991), Sound On Sound (1993) ou The Sound Of Music (1995).
Des tracks qui sont devenues des classiques du genre, voire au-delà. Car le DJ et producteur qui se considère davantage comme un artiste de studio que comme un performer n'a-t-il pas contribué à faire passer la techno d'un monde à un autre?

Autrement dit, du dancefloor à la salle de spectacle, du clubbing à des lieux de concerts philarmoniques. En cela l'utopie de Détroit serait pour partie réalisée.

En combinant électronique et musiques savantes –jazz, classique– Carl Craig s'inscrit dans ce mouvementqui ambitionnait, ni plus ni moins, une authentique révolution du son. Dans le sillage des activistes du label Underground Resistance –fondé par Mike Banks et Jeff Mills en 1990– il s'agit de renverser les monopoles des majors, détrôner les productions mercantiles.

Créer sa propre structure de production et s'être imposé comme le "king of techno" sont pour Carl Craig deux façons de répondre au manifeste par la positive.
Une autre est de demeurer à Détroit, de participer à l'animation d'une ville dans le marasme. Sans doute le musicien adulte se rappelle-t-il les heures que passait l'adolescent à écouter Derrick May – pionnier de la techno–sur la radio WGLB. Ce même Derrick May qui dit: "Notre musique est la rencontre dans un même ascenseur de George Clinton et de Kraftwerk. Elle est à l'image de Detroit : une totale erreur.". De ces erreurs heureuses qui déclechent les révolutions musicales.

D'Underground Resistance, Urban Tribe a retenu le penchant pour une existence à l'écart, le secret, les visages que l'on dissimule derrière des cagoules ou des foulards.
Conduite par Sherard Ingram, la faction techno agit de manière discontinue. Par exemple, entre The Collapse of Modern Cultureparu en 1998 et Authorized Clinical Trialssorti en 2006, Urban Tribe fait silence radio. De 1996 à 1998, le clan à géométrie variable dans lequel Anthony Shakir, Moodyman et Carl Craig himself viennent parfois en renforts de Sherard Ingram pouvait pourtant s'enorgueillir d'être une des très rares signatures américaines du label anglais Mo Wax (avec DJ Shadow et Money Mark).

Urban Tribe est l'auteur d'un hit downtempo –"Covert Action"– qui figure sur la compilation anniversaire 20 Fucking years of Planet E. Mais les derniers messages sonores d'Urban Tribe étaient résolument futuristes, indus et funk.