Les micros avec personne devant. Le vide de chacun de ces invités de plus en plus nombreux (ils sont 100 au bout du compte) ne se comble pas, il devient de plus en plus lourd, jusqu'à une sorte de frénésie. L'homme qui parle se met à parler pour tout le monde, tentant de tout dire, de dire tout de la jubilation, interrogeant tout ce qui bouge, s'interrogeant lui-même, jusqu'à l'abstraction...

"La jubilation, est-elle une futilité ? est-elle une sorte de légèreté qui nous rendrait amnésique, temporairement, face à notre tragédie. Car oui, la vie est tragique... Tout va mal finir, on le sent ; ça va mal finir, individuellement ou collectivement, et pourtant nous jubilons... Oui nous jubilons.
Alors est-ce que nous jubilons parce que nous sommes tout à coup distraits ? que nous n'y pensons plus ? ou alors percevons nous quelque chose d'autre, qui échappe à la compréhension ; quelque chose qui ne se dit ni ne se pense, ni ne se sait, et se transmet de corps en corps comme une vague (car on le sait la jubilation est contagieuse) ?

Est-ce un égarement ? ou une implacable lucidité, un recul immense qui nous projette dans l'instant, dans l'instinct et qui nous dégage du poids, de la gravité, et de toute régulation, qui nous dérègle, qui nous ouvre... ? Est-ce une simple immédiateté en éclat, une explosion au milieu de laquelle nous nous mettons à vivre, à vivre, à ne faire plus que vivre, oubliant tout, oubliant l'oubli, oubliant même que nous avions une mémoire ?

Oui nous entrons en fête, nous dé-pensons tout notre être au milieu du monde en ébullition sans plus céder à la fiction d'une mort déserte, d'une abolition, de notre disparition proche. La jubilation n'est pas futile, c'est tout le reste qui révèle sa futilité lorsqu'elle vient, l'idée même de notre mort, notre ultime croyance, devient inerte. Notre mort meurt. La jubilation en est peut-être le deuil."