Il y a une noce, quelque part, par-delà les arbres et les murs d'une propriété presque inaccessible : chaque abord est surveillé par des sbires, la police. Une attirance irrépressible incite à passer frauduleusement les barrages.
Car, vaille que vaille, quitte à sembler pathétique, il faut se frotter à plus riche que soi. Un homme, un monsieur, une dame, une femme et une jeune fille, après avoir usé de bien des subterfuges, s'immiscent dans la place, mais loin, dans une deuxième zone, où la fête ne peut qu'être fantasmée et devenir l'objet d'une cupidité accrue. Mus par le besoin irraisonné de voir, de savoir, de connaître, ils vont se livrer au saccage, au pillage, tout balayer de ce monde qui n'est pas le leur. La violence est à la hauteur de la frustration : on pille, on tue, on s'enivre de ses nouveaux privilèges.

Autour d'une table de banquet qui tourne comme un manège, ils inventent une autre noce, une noce bien à eux.
Ils se prennent à rêver, dans ce tourbillon effréné, d'une société rédemptrice, juste, libre, utopique. Mais voilà, une espèce de réalité impérieuse, irrépressible, statufie leur hargne, leur joie. Ils sont pris progressivement dans les glaces du pouvoir. Ils instaurent, peu à peu, des règles, des interdits aussi farouches et exclusifs que ceux qu'ils ont subis. Barrières, gardes, chiens, policiers, domestiques, rien ne manque du monde qu'ils ont connu, et qu'ils rebâtissent à l'identique.

Ce sont bien là les mécanismes d'une société de l'apparaître et de l'avoir qui sont implacablement montrés. Dans une écriture visionnaire, Lagarce conte la fin d'un système d'organisation sociale fondé sur une conscience citoyenne. Rétrogradés au rang de consommateur, les êtres ne trouvent leur salut que dans une chimère existentielle qui ne les mène nulle part. La mise en scène et les acteurs éclairent, avec grâce et intelligence, la complexité de cette valse étrange et inquiétante.