En 1894, Paul Claudel, jeune consul aux Etats-Unis, écrit la première version de L’Echange, version qui reste à nos yeux la plus forte, la plus brute, la plus foudroyante. Après le séisme de la découverte de Rimbaud, la violence du contact avec le Nouveau Monde est pour l’auteur l’occasion de mettre en scène les formidables contradictions intérieures qui l’animent. Les Etats-Unis de la fi n du XIXe siècle provoquent un nouveau choc chez ce diplomate fraîchement converti, à la recherche de son unité, chez ce chrétien qui essaye de rassembler et de percer toutes les forces qui assaillent son âme. Ces contradictions violentes, ces tiraillements des sens et de la spiritualité, cette intuition de la vie et de la mort, nous les connaissons tous, probablement de façon moins extrême. Quoique !...Cette extraordinaire perception de l’âme humaine et de la nature qui l’entoure (l’une ne va pas sans l’autre), Claudel nous la jette à la fi gure, afi n que nous en prenions pleinement conscience, afi n que chacun la reconnaisse en soi. La lumière, l’eau, le sable, le jour, la nuit, les étoiles, le feu, l’espace que Claudel ressent en permanence avec la même violence que ses contradictions, ces éléments, qu’il côtoie plus intimement durant chacun de ses longs voyages en bateau, ces éléments qu’il défi e ici, qu’il transcende, et qui servent d’écrin à cette quête d’absolu, sont les repères de ce drame magnifi que, écrit dans une langue admirable. Une des plus belles langues du xxe siècle. Une des plus belles tragédies jamais écrites. Hervé Van der Meulen